Projet GEOTHER
Développement d’outils numériques pour l’insertion d’échangeurs géothermiques dans les ouvrages souterrains (projet de master de Sarrah Allouche)
Introduction et contexte réglementaire
Ce projet s’inscrit dans une démarche globale, la valorisation énergétique des infrastructures souterraines au moyen de l’insertion d’échangeurs de chaleur au sein des structures. Le développement des pompes à chaleur géothermiques est à remettre dans le cadre des objectifs de la politique énergétique française, qui veut intégrer de plus en plus d’énergies renouvelables dans son mix énergétique. En particulier, la loi-programme d’orientation de l’énergie (dite loi POPE) promulguée le 13 juillet 2005, fixe une augmentation de 50 % de la contribution des énergies renouvelables thermiques. On peut citer aussi la décision du Conseil européen du 9 mars 2007 de porter à 20 % la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie européenne. Par la suite, le projet COFOGE, COnception de FOndations GEothermiques, a étudié la transposition de cette technologie vers la France (rapport final CSTB, 2007).
Les fondations profondes classiques supportent les charges transmises par les structures (bâtiments, ponts, etc.) ; on appelle fondations géothermiques celles qui, en plus, contiennent un échangeur thermique. Le but est d’utiliser le fait que la température du sol est à peu près constante à partir de quelques mètres de profondeur pour les besoins de chauffage ou de climatisation des bâtiments. Ainsi, par l’intermédiaire d’une pompe à chaleur, en hiver, un fluide caloporteur d’une température moyenne voisine de 4°C est injecté dans le pieu de manière à chauffer le bâtiment, tandis qu’en été, un fluide caloporteur d’une température voisine de 30°C est injecté dans le pieu de manière à refroidir le bâtiment. Ainsi, l’énergie géothermique peut être considérée comme renouvelable seulement si l’équilibre est assuré entre extraction et injection de chaleur.
Il est légitime de s’interroger sur l’exigence d’une garantie de performance, qui semble justifiée mais qui nécessite, pour être réaliste, d’importants développements en métrologie et simulation. Une mutation se dessine en effet en matière de réglementation dans le domaine du bâtiment : à l’obligation actuelle de mise en œuvre de moyens va se substituer, à terme, une obligation de résultats. Si ce changement va laisser aux maîtres d’ouvrage et aux maîtres d’œuvre davantage de libertés dans leurs choix et devrait aussi favoriser l’innovation technique et architecturale, il va cependant demander la mise au point de méthodologies et d’instruments pour la mesure physique et la simulation, afin de vérifier les performances au cours des différentes phases de chantier, d’évaluer les écarts par rapport au prévisionnel, et de rectifier les erreurs avant la livraison du chantier. Cette mutation devrait être suivie dans le domaine du génie civil souterrain.
Cela implique que les outils de suivi, concernant au moins autant la réhabilitation que la construction neuve, devront être suffisamment fiables et simples à utiliser pour un usage généralisé. Les méthodes prédictives devront être fiabilisées par une connaissance approfondie de tous les mécanismes d’échange mais aussi par une bonne évaluation du contexte géotechnique et hydraulique local.
Pour qu’un système géothermique peu profond reste efficace, il faut qu’il assure l’équilibre du terrain à long terme. La restauration de l’état énergétique du sol, aidée par l’ensoleillement et l’écoulement souterrain, doit être garantie par un modèle. Une fois le système échangeur installé, le moindre déséquilibre aurait des effets cumulatifs dans le temps : on risquerait d’aboutir à un réchauffement du sol ou à son refroidissement, avec des impacts sur la vie dans le sol, sur son comportement et sur les ouvrages (impact des cycles de variation de température sur les matériaux constitutifs de l’ouvrage), et une baisse de performance du système échangeur. A l’extrême, cela conduirait à la rupture thermique ou au contraire au gel du sol et finalement, de l’échangeur (Rawlings et Sykulski, 1999).
Différents types d’ouvrages
Le type d’ouvrage donc de source de chaleur est essentiel (Brandl, 1998 et 2006). Dans le cas des fondations, les sols (proches de la surface, non consolidés) sont plus accessibles que les roches mais celles-ci ont un potentiel thermique plus élevé, d’où l’intérêt des fondations profondes.
Divers types de structures souterraines peuvent recevoir des échangeurs thermiques, notamment les tunnels, les tranchées couvertes (figure 1), et les galeries de carrières ou mines (Sanner et al., 1996). Ce principe fonctionne bien par exemple pour refroidir des stations de métro via des parois moulées (figure 2).
Figure 1. Concept de la captation de la chaleur du sous-sol par des parois moulées pour chauffer des bâtiments à la surface
Le retour d’expérience du tunnel de Jenbach en Autriche sur les échangeurs intégrés dans les voussoirs préfabriqués est seul de son espèce actuellement (figure 3). Un grand effort de modélisation reste à faire pour la conception de ce type de projets (figure 4).
Figure 3. Tubes échangeurs de chaleur dans les voussoirs d’un tunnel.
Figure 4. Calcul du gradient thermique autour d’un tunnel.
Cependant, les publications sur les échangeurs de chaleur dans les murs de soutènement enterrés sont rares, ainsi que dans les ouvrages linéaires. C’est pourquoi mon projet se focalisera sur les pieux géothermiques.
Les pieux énergétiques
Les pieux géothermiques (figure 5) ont déjà été testés et construits (Gao et al., 2008 ; Adam et Markiewicz , 2009) pour chauffer et refroidir des bâtiments (figure 6). Les structures thermo-actives telles que les pieux énergétiques sont assez bien connues en Europe bien que certains problèmes restent à résoudre : les effets des changements de la température sur le comportement mécanique de ces structures ont été peu étudiés.
Figure 6. Pompe à chaleur sur un groupe de pieux géothermiques.
Il n’existe pas encore de méthode qui prenne en compte les interactions complexes entre le stockage thermique, le transfert de chaleur et le comportement mécanique de ces pieux. Par conséquent, depuis des années, le dimensionnement de ces pieux échangeurs de chaleur a été fondé sur des considérations empiriques.
Phénoménologie
Dans le cas où l’adhésion entre le pieu et le terrain est maintenue, l’expansion thermique du pieu est contrainte au sommet par le bâtiment et à la base par le substratum rocheux. Il en résulte une charge verticale qui s’ajoute au poids du bâtiment (figure 7). De plus, des cycles de chauffage / refroidissement dans le sous-sol résultent en cycles assèchement / humidification si le sol se désature. Ces variations de la teneur en eau peuvent impacter fortement les fondations, en particulier si le terrain est argileux, car elles provoquent une alternance de gonflement et de contraction.
Figure 7. Comportement mécanique d’un pieu géothermique.
Une perte d’adhésion peut conduire à la limite à une stabilité dépendant entièrement de la capacité portante du substratum. Elle provoque en outre une perte d’efficacité énergétique à cause du rôle d’isolant joué par la couche d’air entre le pieu et le terrain (Arson et al., 2013), qui produit un échauffement du pieu et un refroidissement dans le terrain (figure 8).
Figure 8. Gradient thermique autour d’un pieu échangeur de chaleur.
Evaluation de performance des systèmes : rôle attendu de la modélisation
Trois méthodes sont employées dans l’évaluation de performance des systèmes de pompe à chaleur du sous-sol au cours du dimensionnement et comme outil de suivi après la construction : le coefficient de performance (rapport de la chaleur gagnée sur l’input électrique nécessaire), les tests in situ, et la modélisation mathématique.
Pour évaluer la performance du système en fonctionnement, le test de réponse thermique est le plus populaire, employé surtout dans les échangeurs en forage mais transférable à d’autres systèmes échangeurs (Esen et Inalli, 2009).
La modélisation est fondée sur la théorie de la source de chaleur cylindrique avec un transfert radial et quasi constant dont un exemple est TRNSYS (Wang et Qi, 2008).
Un autre outil commun est l’analyse « énergie-exergie » présentée par Ozgener (2005). L’exergie est le travail utile maximum qui amène un système à l’équilibre avec un réservoir de chaleur.
La plupart des études sont fondées sur une analyse systémique et non sur un modèle mécanique constitutif : l’échange de chaleur entre la structure et le sol est converti en une contrainte thermique qui est ensuite introduite (figure 9), sous forme d’une charge supplémentaire induite, dans les équations gouvernant le comportement mécanique.
Figure 9. Déformation d’un modèle de pieu travaillant en élasticité sous chargement vertical. Noter la dilatation volumique du pieu, imposée pour représenter l’effet de la chaleur. Logiciel Plaxis. Auteur : Samah Allouche.
L’influence de gradients de température même faibles sur la friction au contact pieu / sol a été mise en lumière par des simulations numériques (Suryatriyastuti et al., 2012) et par des tests thermo-mécaniques en vraie grandeur (Laloui et al., 2003 et 2006 ; Bourne-Webb, 2009).
Mais les modèles de sources de chaleur ne sont pas suffisants pour prédire la performance d’une fondation utilisée comme échangeur. Le comportement thermo-mécanique d’un tel pieu est bien représenté par un modèle thermo-élastique, sauf en ce qui concerne l’effet des cycles thermiques sur la résistance de friction à l’interface qui nécessite de calculer les déformations dans le terrain en poro-élasticité. Très peu de travaux ont été faits sur l’effet de la perte d’adhésion sur la performance des pieux géothermiques (Philippacopoulos et Berndt, 2001).
Le fonctionnement d’une fondation profonde énergétique provoque des changements de température des terrains situés à proximité. La circulation d’un fluide caloporteur dont la température varie au cours de l’année est susceptible de provoquer sur un pieu énergétique trois types d’effets : (i) une augmentation ou un raccourcissement de la longueur du pieu ; (ii) des efforts complémentaires dans le pieu liés à la contraction ou à la dilatation empêchée du pieu; (iii) une modification de l’état de contraintes à l’interface sol/pieu. Une étude spécifique du comportement mécanique des pieux énergétiques est donc essentielle.
L’objectif de mon stage de fin d’étude réalisé jusqu’à septembre 2013 dans le cadre d’une collaboration entre le Cnam et l’Enpc est d’apporter des connaissances sur le comportement des pieux énergétiques sous chargement thermo-mécanique, en s’appuyant sur une expérimentation sur un modèle physique réduit.
Les questions à aborder par la modélisation
Mon projet pour l’année 2013-2014 concernera essentiellement des questions à aborder par une approche numérique. La modélisation en est encore à ses débuts : des recherches en cours essaient de développer des modèles thermo-hydro-mécaniques précis pour différents types de roches. Je ferai au départ de mon projet une revue des modèles proposés dans la littérature, allant des solutions analytiques et des modèles élastiques unidimensionnels jusqu’aux simulations numériques par différences finies ou éléments finis.
Je développerai au moyen du code ASTER (EDF) une modélisation thermo-hydro-mécanique prenant en compte l’écoulement de la nappe, son niveau, et le gradient vertical de saturation du sol. Le degré de saturation peut être pris en compte en faisant dépendre la conductivité thermique du sol des fractions volumiques d’eau et de solide.
L’influence de la déformation du sol sur la résistance en friction due à la contraction et au gonflement reste à investiguer. A ce jour, aucun modèle analytique d’interface n’a été proposé pour représenter l’évolution de la résistance en friction avec la température, et aucun modèle numérique ne prend en compte cet effet sur la loi de contact à l’interface. Ainsi, modéliser l’interface thermo-mécanique entre un pieu échangeur et le terrain est toujours un problème ouvert.
Bibliographie
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- Arson C., Berns E., Akrouch G., Sanchez M., Briaud J.-L. (2013). Heat Propagation around Geothermal Piles and Implications on Energy Balance.
- Bourne-Webb P.J., Amatya B., Soga K., Amis T., Davidson C., Payne P. (2009). Energy Pile Test at Lamberth College, London: Geotechnical and Thermodynamic Aspects of Pile Response to Heat Cycles. Géotechnique, 59(3):237-248.
- Brandl H. (1998). Energy Piles and Diaphragm Walls for Heat Transfer from and into the Ground. Deep Foundations on Bored and Auger Piles, Van Impe & Haegeman eds., Balkema, Rotterdam, p.37-60.
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- Gao J, Zhang X, Liu J, Li K, Yang J. (2008). Numerical and experimental assessment of thermal performance of vertical energy piles: an application. Applied Energy, 85:901-910.
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- Philippacopoulos A.J., Berndt M.L. (2001). Influence of debonding in ground heat exchangers used with geothermal heat pumps, Geothermics, 30(5):527-545.
- Rawlings R.H.D., Sykulski J.R. (1999). Ground source heat pumps: a technology review. Building Service Engineering, 20(3):119–29.
- Sanner B., Hopkirk, R.J., Kabus F., Ritter W., Rybach L. (1996). Practical experiences in Europe of the combination of geothermal energy and heat pumps. Proc. 5th IEA Conference on Heat Pumping Technologies, Toronto, 1:111–25.
- Suryatriyastuti M.E., Mroueh H., Burlon S. (2012). Understanding the temperature-induced mechanical behavior of energy pile foundations, Renewable and Sustainable Energy Reviews, 16, 3344-3354.
- Wang H., Qi C. (2008). Performance study of underground thermal storage in a solarground coupled heat pump system for residential buildings. Energy and Buildings, 40(7):1278–86.
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